18 Nov [TEMOIGNAGE]Regards croisés sur les parcours de Sambou et Modibo, jeunes mineurs isolés
TÉMOIGNAGES
Regards croisés sur les parcours de Sambou et Modibo, jeunes en cours de français
Secteur - FranceThématique - Insertion
Chaque année, une centaine de jeunes fréquente les cours de français d’Habitat-Cité menés au sein des bibliothèques de la ville de Pantin. Certain·es sont arrivé·es en France avec leurs parents dans un cadre familial, tandis que d’autres — une majorité — sont arrivé·es seul·es à la suite d’un parcours d’exil difficile, et rencontrent de nombreux obstacles pour accéder à leurs droits, au logement et à la scolarisation.
Dans ce contexte, les ateliers socio-linguistiques (ASL) d’Habitat-Cité leur permettent de commencer ou de poursuivre leur apprentissage de la langue française dans un cadre bienveillant. Cet espace d’apprentissage, ouvert par les bibliothèques de la ville de Pantin — très engagées dans le projet — a également permis à ces jeunes de sortir de l’isolement et de trouver du soutien dans un cadre où leur arrivée en Ile-de-France est pour la plupart marquée par de grandes difficultés.
Une longue suite d’obstacles
Les jeunes non accompagné·es par leur famille — aussi appelé·es mineur·es isolé·és — rencontrent très souvent des problèmes pour se loger car ils et elles doivent faire reconnaître leur minorité avant de pouvoir être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), en dépit de leur extrême vulnérabilité. Dans ce contexte, leur mise à l’abris est essentiellement assurée par des associations, des collectifs et des hébergeur·euses solidaires qui sont limité·es dans leurs moyens, et ne peuvent couvrir l’ensemble des besoins. À l’été 2024, l’UNICEF estimait que plus de 2000 enfants sont sans-abris en France (un chiffre en augmentation de 120% depuis 2020).
Après une phase d’évaluation, les jeunes reconnu·es comme étant mineur·es sont orienté·es vers l’ASE, tandis que les autres — l’écrasante majorité des jeunes reçus en cours — ne se voient proposer aucun accompagnement. Les motifs de ces refus sont multiples : beaucoup de jeunes se voient reprocher le manque de documents d’état civil, des propos trop vagues ou au contraire trop précis voire attendus, des discours incohérents ou ou contraire trop absents d’affect.. Nombre de professionnels dénoncent les ressorts de ces évaluations, qui ne prennent pas en compte la vulnérabilité des jeunes et leurs difficultés à prouver de leur minorité eu égard à leur parcours d’exil. Pour les jeunes laissés à la rue, la seule solution s’avère de faire recours auprès d’un juge des enfants, dans l’attente de quoi toute possibilité d’accès à l’hébergement d’urgence (115) ou à la scolarité leur sont interdites.
Et une détermination à étudier
Pour les jeunes reconnu·es mineur·es et pris en charge par l’ASE, l’accès à l’école peut là aussi prendre plusieurs mois car le manque de places en classe d’accueil dans certains territoires repousse parfois à l’entrée en classe au mois de septembre. Pourtant, l’accès à la scolarité est un enjeu crucial pour garantir un avenir à ces jeunes, dont la motivation présidant à l’exil est majoritairement d’«aller à l’école». Aller à l’école pour apprendre à lire, pour se former à un métier et pour avoir accès à des opportunités qui leur seraient autrement inaccessibles.
Sambou a suivi les cours de français d’Habitat-Cité en 2020. Après un long parcours administratif pendant lequel il a dû prouver sa minorité auprès d’un juge pour enfants, il est parvenu a intégrer une formation professionnalisante à Morlaix, en Bretagne. Il raconte ici son arrivée à Paris :
« Je suis arrivé à Paris le 19 septembre, j’avais quinze ans. J’ai dormi à la gare, je connaissais personne. Le lendemain matin, je suis parti à la Croix Rouge. Elle a fait mon évaluation, elle m’a dit que j’étais pas mineur. On m’a dit « fais un recours au juge des enfants si t’es pas d’accord ». Après je suis allé à Couronnes, des femmes m’ont donné les adresses d’associations. Je dormais seul dehors, à Porte Dorée, à côté du parc. C’était comme ça pendant huit mois. Pour trouver à manger, c’était Médecins Sans Frontières qui m’aidait en me donnant des tickets pour les distributions alimentaires. Après j’ai vécu à Epinay pendant quatre mois, dans un petit foyer d’Utopia. On était sept, avec trois chambres.
Quand je suis arrivé, j’ai dit à MSF que j’avais besoin de cours de français, et on m’a aidé. J’ai trouvé les cours avec Habitat-Cité et dans un autre endroit. Les cours m’ont aidé beaucoup. Avant, même si je parlais français, je parlais pas comme ça. Depuis, j’ai appris beaucoup de choses… J’aimais bien apprendre du vocabulaire. Au Mali, je parlais bambara. Il y a beaucoup de langues là-bas, mais en partant à l’école on apprenait le français. J’ai fait trois ans à l’école là-bas. Je savais un peu lire et écrire, mais maintenant ça va mieux. Ça m’a intéressé beaucoup, merci.
À Épinay, mon éducatrice m’a dit que je devais aller à Quimper, mais finalement on m’a dit d’aller à Brest. À Brest, j’ai été accueilli par une dame qui m’a accompagnée à l’hôtel. Je suis resté huit mois là-bas. Je ne faisais rien du tout là-bas, je devais attendre pour l’école. Mais j’ai trouvé une médiathèque, alors j’ai fait ma carte de bibliothèque et j’ai lu des livres.
Maintenant, j’ai un titre de séjour et j’ai trouvé un appartement à Morlaix. J’ai déménagé. On est trois dans l’appartement. Avant, c’était dur — mais maintenant c’est mieux. Si tu pars quelque part, et que tu connais pas là-bas, c’est dur quoi… Maintenant, ça va un peu, parce que faire un stage ça m’a permis de rencontrer des amis. Je joue au football aussi ! Il y a beaucoup d’activités à Morlaix.
Moi, dans ma vie, il y a beaucoup de choses que je veux réaliser. À propos de ça, maintenant, je fais un stage d’électricien. Parce que maintenant, j’ai fini l’école vendredi passé. J’ai passé le DELF et je l’ai obtenu. Là, je suis bien. Je cherche un apprentissage. Il y a des gens qui veulent faire électricien pour l’argent, mais moi c’est parce que j’aime vraiment. »
Modibo a suivi les cours d’Habitat-Cité de fin 2018 à août 2019, avant d’intégrer un lycée professionnel et de valider un CAP en 2022 puis un Bac Professionnel d’électricien en 2024. Lors de son CAP et de son Bac Professionnel, une bénévole d’Habitat-Cité l’a rencontré régulièrement pour l’accompagner dans sa scolarité, l’aider dans la réalisation de ses devoirs, dans la compréhension de ses leçons, lui offrir un support moral. Habitat-Cité publie à cette occasion un témoignage qu’il a laissé à l’association en 2022, à la veille de son entrée en Bac professionnel.
« Je m’appelle Modibo, je suis malien. Je suis venu en France fin 2018. Jusqu’en 2020, j’étais pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, mais le 9 juin 2020 le juge a décidé de faire une main libre pour ne pas me reconnaître mineur. Depuis ce jour, je suis dans la souffrance. Parfois, je n’ai même pas d’endroit pour dormir. Mais toujours, je continue d’aller à l’école.
En 2018, je me suis inscrit au CIO [Centre d’information et d’orientation de Pantin] pour ma scolarisation. Avant de trouver l’école, j’ai fait un cours de français à la bibliothèque de Pantin. À ce moment là, je savais ni écrire, ni lire. Grâce aux cours d’Habitat-Cité, j’ai appris à lire, et j’ai appris à compter et à écrire. Grâce aux cours de français aussi, j’ai avancé par rapport à mon parcours scolaire parce que là, je suis en terminale CAP Électricité !
L’année prochaine, je vais intégrer un Bac pro. J’ai intégré un peu de français et je peux m’exprimer en français ; et puis je peux m’expliquer. Avant, je savais pas même parler un mot pour bien m’exprimer. Vraiment, les cours ça me plait beaucoup et ça m’a aidé beaucoup. Ce qui me plait beaucoup, c’est apprendre à parler avec les gens parce que j’avais des difficultés à communiquer. Voilà, c’est ça que je voulais vous raconter.
Maintenant, ça va un peu parce que j’ai trouvé un herbergement d’urgence. Je suis là-bas pour l’instant. Et puis j’ai trouvé aussi un récépissé de demande de titre de séjour. Je cherche un travail pour faire une alternance en bac pro, et je cherche aussi un travail le soir – par exemple dans le nettoyage ou dans un restaurant. Si vous connaissez un patron qui cherche un apprenti dans l’électricité, je suis là. Merci !
Et puis merci beaucoup pour nous ! Nous qui savions, ni lire, ni écrire, ni parler aussi…»
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