03 Juil [TEMOIGNAGE]La Palma, des coopératives d’habitant·es pour lutter contre le mal-logement
TÉMOIGNAGE
La Palma, des coopératives d’habitant·es pour lutter contre le mal-logement
Secteur - El SalvadorThématique - Habitat & Genre
Témoignage de Daisy, habitante de La Palma, au Salvador
Pour résoudre leur problème de logement, 62 familles salvadoriennes se sont regroupées en 2 coopératives qui leur permettent d’acheter un terrain en commun et de construire ensemble leurs maisons. Pour éviter un déséquilibre dans l’implication sur les chantiers, les maisons construites sont au final attribuées par tirage au sort. Ainsi, chacun s’implique avec la même énergie sur chaque chantier. Après un lent démarrage, 23 maisons en adobe ont été construites à La Palma, dans le nord du pays, et 39 autres sont prévues. Daisy, trésorière d’une des coopératives, nous explique l’impact que ce projet a eu sur elle.
Une coopérative pour le bien de tous
Je m’appelle Daisy, je suis membre de la coopérative ACOVICUPA de la Palma, Chalatenango. J’en suis la trésorière. J’aime la responsabilité que j’ai dans la coopérative. Et qu’avec elle, de grandes choses puissent être faites pour le bien de tous.
Je ne suis pas de cette zone, de La Palma. J’ai vécu 40 ans à San Salvador, la capitale. Je connais La Palma par mon mari qui travaillait ici et qui a appris qu’ils faisaient une coopérative de logements. A cette époque, là où on vivait avec mon époux n’était pas à nous, alors on allait voir dans cette zone du nord pour trouver un logement à crédit. Mais on ne trouvait pas quelque chose qui nous convenait.
Fuir la violence des gangs
La situation à San Salvador me faisait peur. Là où je vivais, il y avait de la délinquance. C’était à la limite entre deux gangs qui s’affrontaient. Mon époux était policier et il y avait une sorte de tension constante avec nous. Je vivais dans la peur. On m’a dit “tu verras ici, à La Palma, c’est tranquille. Le seul truc c’est qu’il n’y a qu’un seul bus qui passe.”
Je suis venue à La Palma avec une de mes filles un dimanche. Et là où s’est arrêté le bus, il n’y avait rien, c’était sauvage. Il n’y avait que des petits chemins à travers les montagnes. Une dame est arrivée alors je lui ai demandé où il y avait la réunion de la coopérative. Et bon, voilà comment je me suis retrouvée là-bas, et que j’ai rencontré les camarades. J’ai suivi la réunion et on m’a dit de revenir à la prochaine si ça m’intéressait. Et de là, quinze jours plus tard, je suis revenue. Je ne connaissais personne et tout était nouveau pour moi. Mais j’aimais la vue. A cette époque l’été arrivait, l’endroit m’a beaucoup plu. J’ai réfléchi, je me suis demandé si je devais adhérer ou non à la coopérative. Alors j’en ai parlé avec mon mari, qui m’a dit “Comment c’est par là-bas ? ça t’a plu ?” et moi je lui ai dit “Oui, c’est joli !” Mais lui ne connaissait pas le lieu. Alors un dimanche je l’ai emmené et quand on est arrivés, il m’a dit qu’il trouvait ça laid, ça ne lui plaisait pas. Je lui ai dit “Mais moi j’aime beaucoup, tout va changer, ça va être bien joli”.
Alors quand j’ai eu cette opportunité de travailler avec la coopérative et que j’ai su qu’ils allaient financer trois logements pour des personnes avec des problèmes de déplacements forcés, j’ai candidaté pour l’un d’entre eux et c’est comme ça que je me suis installée ici. J’ai quitté la capitale.
Surmonter les appréhensions
Même si les femmes d’ici sont habituées à travailler dans les champs, je sentais quand même cette incertitude générale : “Est-ce qu’on peut le faire ?” Quand a commencé la construction du salon communal, je m’inquiétais. Je pensais “Comment je vais pouvoir utiliser les outils ?” Je me disais qu’étant une femme, je ne peux pas tenir la pioche ou tel outil. Je n’osais pas. Jusqu’au moment où quelqu’un s’est approché et m’a dit “Tiens, toi, prend la pioche”, et voilà. A peine après deux ou trois coups de pioche, mes mains avaient des ampoules. Aujourd’hui, ce ne sont plus des ampoules mais de la corne. Ma peur s’est effacée le premier jour.
Mon autre peur, c’est quand ils m’ont dit que j’allais avoir une responsabilité dans le conseil d’administration, je me suis dit “Comment je vais faire ? Et s’il y a un problème, qu’est-ce qu’ils vont dire et penser de moi ?”. Je me suis fait des nœuds à la tête… Le défi était de rompre le paradigme de “je ne suis pas capable”. A la coopérative, mon excuse pour ne pas présenter les choses en public était de dire “je suis nouvelle”. Mais tout ça, toutes ces barrières que je mettais, je les ai dépassées. J’ai appris à parler en public.
J’ai beaucoup appris avec Fundasal. Ils ont fait un atelier avec un ingénieur au Centre de formation qui montrait les différents types de matériaux (briques, ciment, etc) pour construire les habitations à la Palma. Alors j’étais capable d’expliquer le processus, de comment récupérer la terre adéquate, et les différentes étapes pour fabriquer la brique, les calculs de matériaux nécessaires aussi en fonction des mesures qu’on avait prises, etc. Et donc à ce moment-là je n’ai plus eu peur, je me suis sentie autre, je me suis dit “oui, en fait je peux, j’en suis capable !” Ça m’a beaucoup aidé dans ma vie personnelle aussi, la formation, la confiance en moi.
La construction, un milieu machiste ?
Au début, des hommes sont venus sur les chantiers et vu qu’ils connaissaient le travail, ils disaient “Apporte moi ça ici et là”. Jusqu’à un certain point j’ai accepté qu’ils m’ordonnent de faire les choses, d’être leur assistante. Mais je ne voulais pas faire que des allers-retours pour aller leur chercher les choses. Je leur disais “Moi aussi je peux poser une brique, si je sais faire le mélange de terre pour la fabriquer, je peux la poser”. Je l’ai dit à l’un d’entre eux. « Et toi qu’est-ce que tu vas faire ? », il m’a dit. « Je peux le faire, on n’a qu’à parier ! », je lui ai dit.
Mon neveu, qui est de Salvador, voulait faire une maison et m’a dit “Tata, tu crois que tu peux m’aider ?” en rigolant, et moi je lui ai dit que oui bien sûr je pouvais l’aider. Mais il ne me croyait pas, alors mon mari lui a dit qu’il serait surpris de me voir faire…
L’avenir des coopératives de La Palma
Ce que l’on veut faire ici ce ne sont pas seulement des logements, c’est aussi de l’écotourisme. On a donc aussi pensé à des cabanes là-bas, et des ateliers d’artisanat. Ce sont nos projets pour le futur pour pouvoir continuer la coopérative. La ministre du logement et celle du tourisme sont venues nous rendre visite, et elles nous ont conseillé de nous rapprocher de l’agence de tourisme de La Palma quand le projet serait un peu plus avancé.
Le but n’est pas de venir ici construire une maison et c’est tout, non. Nous voulons continuer à aller de l’avant.