11 Sep [TEMOIGNAGE]Marc, juriste bénévole en droit du travail
TÉMOIGNAGE
Marc, juriste bénévole en droit du travail
Secteur - FranceThématique - Accès aux droits

Marc a été bénévole actif et régulier d’Habitat-Cité entre juin 2017 et août 2024. Pendant ces 7 ans, son engagement pour Habitat-Cité a consisté à tenir les permanences bimensuelles droit du travail en binôme avec une salariée, de conseiller les personnes reçues, de les informer sur leurs droits et les modalités pour les faire respecter, de les accompagner dans le cadre de tentatives de médiation avec les employeurs (courriers) puis lors de procédures devant le Conseil de Prudhommes lorsque les tentatives de règlement à l’amiable des litiges avec les employeurs n’aboutissaient pas.
Son travail se réalisait donc non seulement lors des permanences, mais aussi (beaucoup) hors permanences par le travail d’enregistrement, classement, analyse détaillée des documents scannés en permanence, création de tableaux Excel pour le calcul et la vérification des rémunérations et indemnités reçues pas les personnes accueillies en permanence pour s’assurer qu’elles correspondaient à ce que les employeurs leur devaient.
Pour ce portrait, nous avons rencontré Marc dans un petit restaurant dans sa ville et lui avons demandé d’abord comment il avait connu Habitat-Cité et qu’est-ce qui l’a déterminé à vouloir s’engager comme bénévole. Il nous dit que c’est la lecture du livre « Le Soleil se lève-t-il à l’Ouest », qu’il a beaucoup aimé, qui l’a déterminé à vouloir mieux connaître l’association et en devenir bénévole. De plus, les horaires de la permanence, qui avait lieu de 17h00 à 20h00 étaient compatibles avec son emploi de temps et tout le travail hors permanence pouvait être fait depuis chez soi.
Marc nous a confié aussi que ce qui le motivait beaucoup dans son travail bénévole était le fait de pouvoir encourager les personnes éloignées de tout ce qui est juridique et qui étaient aussi souvent sous la pression de la précarité et la nécessité de garder un emploi, quelles que soient les conditions, de défendre leurs droits, y compris par des procédures en justice et même quand les montants qu’elles pouvaient gagner n’étaient pas importants. Parmi les dossiers dont Xavier se rappelle bien il y a celui d’une femme de chambre en situation de grande précarité, vivant en hébergement d’urgence et ayant à sa charge ses enfants et son compagnon, dont la durée de travail et la rémunération ne correspondaient pas au travail effectivement fourni. Ce fut une procédure difficile et longue (2 ans et 6 mois) qui a été menée avec un défenseur syndical et qui s’est terminée par la victoire de la salariée : requalification de son CDD à 50h par mois en un CDI à 69 h (mais malheureusement pas à temps plein comme le défenseur syndical l’avait demandé), condamnation de l’employeur au paiement de ses heures complémentaires (541,80 €), de 693,49 € au titre de l’indemnité de la requalification en CDI et de 54,18 € au titre de ses congés payés, ainsi qu’au paiement des dépenses de jugement.
Un autre élément qui a motivé son engagement a été le sentiment d’injustice que générait l’analyse de la situation de tant de salarié·e·s ou travailleurs·euses sans papiers dont les droits n’étaient pas respectés par leurs employeurs, avec des conséquences importantes sur leur santé physique et parfois psychique (une partie d’entre elles/eux souffrant d’anxiété ou dépression) et qui étaient même parfois en situation de grande exploitation. Une des procédures qui a le plus marqué Marc a été celle d’une serveuse dans un bar PMU. Sur son attestation de fin de contrat l’employeur avait osé écrire comme motif de rupture : « grossesse » ! C’était pour lui l’impunité dans toute sa « splendeur ». Il a ensuite été enthousiasmé par l’écoute très attentive de cette salariée et sa détermination dans le cadre de sa procédure : elle a rapidement rassemblé les preuves nécessaires à son dossier, notamment cinq témoignages écrits de clients du bar relatant ses conditions de travail et ses horaires de travail très matinaux, ce qui nous a permis de démontrer ses durées de travail excessives. C’est une affaire qui, malgré la longueur et sa difficulté (l’employeur a liquidé sa société pour échapper aux pénalités et de nombreuses démarches ont donc été nécessaires auprès d’un liquidateur judiciaire) s’est pourtant terminée par une importante victoire aux Prud’hommes, l’employeur étant condamné à verser 97 526 € de pénalités et indemnités.
Un autre dossier dont il se rappelle bien est lié cette fois-ci à la violence institutionnelle de France travail (anciennement Pôle emploi), qui menaçait de couper les allocations chômage d’une demandeuse d’emploi enceinte de 6 mois qui avait aussi la charge d’un bébé de 10 mois, sous prétexte qu’elle ne « participait pas activement » aux actions de recherche d’emploi qui lui étaient proposées (actions particulièrement inadaptées à sa situation) et sans proposer à aucun moment un accompagnement par rapport aux modalités de garde d’enfants. Dans ce cas, Habitat-Cité a fait de la médiation par mail et téléphone rappelant à France travail leur devoir d’accompagnement et d’analyse au cas par cas des situations, ainsi que le fait que les femmes enceintes avaient les mêmes droits aux allocations que les autres demandeurs d’emploi et que France travail devait faire preuve d’un traitement équitable, d’humanité et de proposer des actions adaptées à la situation de la demandeuse d’emploi, sa grossesse avancée étant incompatible avec les actions que France travail lui avait proposées.
Une autre rencontre à la permanence qui a été marquante pour Marc a été celle avec 2 salariés étrangers – un cuisinier et un serveur – qui travaillaient dans une brasserie parisienne dans des conditions de grande exploitation proches de l’esclavage moderne (plus de deux ans sans une seule journée de congés pour le cuisinier). C’est un des dossiers les plus longs et difficiles, car la collecte de preuves pour le dossier Prud’hommes a été très laborieuse et a nécessité, entre autres, de nombreux contrôles de l’inspection du travail (qui a été saisie par Habitat-Cité) sur le lieu de travail des 2 salariés.
Marc a beaucoup accompagné ces salariés, y compris lors des entretiens avec leur avocate. Il a été très impressionné par leur intense désir de justice. Cette procédure a débuté juste avant la pandémie de la Covid-19 et a suivi son long cours (près de 4 ans !) pour se solder par leur éclatante victoire aux Prud’hommes, les indemnités étant à la mesure de tous les droits élémentaires dont ils avaient été privés : plus de 100 000 € pour le cuisinier et plus de 80 000 € pour le serveur.
Le lien avec les avocat·es et les défenseurs syndicaux avec lesquels nous avons collaboré lors des nombreuses procédures aux Conseil des Prud’hommes que nous avons accompagné a été une part importante du travail bénévole de Xavier et aussi une qui l’intéresse beaucoup. Il a ainsi assisté à une partie des audiences.
Nous lui avons aussi demandé quels ont été les moments difficiles qu’il a pu éprouver lors de nos permanences. Il nous a parlé des problèmes logistiques rencontrés dans deux lieux extérieurs dans lesquels notre permanence s’est déroulée dans les 3 premières années – problèmes d’impression et de scan, de connexion internet etc. – ainsi que des problèmes d’espace dans les locaux d’Habitat-Cité lorsque nous devions accueillir plusieurs personnes (membres de la familles, enfants ou collègues des personnes reçues en permanence). Il a aussi évoqué l’attention dont il fallait faire preuve lors d’entretiens avec des personnes peu francophones ou avec de forts accents, qui rendaient difficile la compréhension, ou du besoin de recadrer des personnes qui s’éparpillaient dans des discours qui s’éloignaient de l’objet de leur rendez-vous ou qui avaient des propos parfois incohérents et contradictoires. Il nous parle aussi aussi des personnes avec des troubles psychiques – obsessions de persécution, personnalités paranoïaques, dépression etc. – l’écoute en permanence nécessitant prudence pour certaines (pour pouvoir distinguer les faits réels de ce que certaines personnes imaginaient) et beaucoup de patience pour les autres, ainsi que des orientations ultérieures vers des lieux où ils pouvaient demander un soutien psychologique. Le fait de travailler en binôme avec une salariée rendaient ces difficultés plus facile à dépasser.
Avec regrets, Marc a dû arrêter son bénévolat pour des raisons professionnelles liées à un manque de temps, mais nous avoue que son long engagement dans le temps (7 ans) a été enrichissant et intéressant. Il espère pouvoir refaire peut-être du bénévolat pour Habitat-Cité à l’avenir si ses impératifs professionnels le lui permettent.
























