[TEMOIGNAGE]
Lutter contre les abus dans le milieu du travail


TÉMOIGNAGE

Lutter contre les abus dans le monde du travail

Secteur - France
Thématique - Accès aux droits

Habitat-Cité a mis en place une permanence sur le droit du travail en septembre 2017 à Pantin. Cette permanence s’adresse prioritairement aux étranger·es travaillant en France et qui ont des litiges avec leur employeur : absence de contrat de travail, paiement partiel des salaires, harcèlement moral, licenciement abusif. La permanence accueille également des travailleur·euses sans papiers non déclaré·es qui souhaitent connaître les modalités de régularisation par le travail.

De 2017 à 2024, cette permanence a reçu des personnes sur rendez-vous un jeudi sur deux de 17h à 20h a accueilli en moyenne 40 personnes par an. Nous partageons ici la situation de 2 salariés qui ont obtenu gain de cause auprès des Prud’hommes.

Une action soutenue par

Des situations de travail indignes

En mars 2019, Karim, originaire du Bangladesh et serveur dans un restaurant de Paris, suit une formation intensive à visée professionnelle auprès d’Habitat-Cité. Lors d’un atelier emploi, suite à une question qu’il pose par rapport à ses conditions de travail, l’association lui suggère de prendre rendez-vous dans le cadre de sa permanence Droit du travail, afin de recevoir des conseils juridiques : employé en CDI à mi-temps, Karim a expliqué travailler en réalité 55 heures par semaine pour un salaire moyen de 570 € nets par mois, soit 2,40 €/h… 

Lors du premier rendez-vous en permanence, il signale également la situation de son collègue et compatriote Monir, jeune cuisinier qui depuis plus de deux ans travaille  85 heures par semaine, 7 jours sur 7 sans avoir jamais pu prendre une seule journée de congé. L’employeur lui répétait à chaque demande « tu bosses au black, donc t’as pas de congés ».

Informer et accompagner les travailleur·euses exploité·es

Tous deux ont pourtant des titres de séjour réguliers mais restent résignés et inquiets. Peu à peu, après plusieurs rendez-vous avec Habitat-Cité lors desquels ils sont informés sur leurs droits, les possibilités de se défendre et de prise en charge des frais d’avocat, ils prennent conscience de l’ampleur de non-respect de leurs droits en tant que salariés et de l’iniquité de leur situation et se décident à faire respecter leurs droits.

Alertée par Habitat-Cité, l’inspection du travail (IT) se saisit de cette situation d’exploitation proche de la traite des êtres humains et procède à une vingtaine de contrôles en mode client mystère afin de démontrer la présence continue de Monir. 

En novembre 2019, le restaurant est verbalisé pour travail dissimulé et Karim et Monir sont informés par courrier de tous les constats de l’inspection du travail — document essentiel pour démontrer aux Conseil des Prud’hommes la réalité de leurs horaires épuisants, qui dépassaient de loin les durées légales maximales du travail.

Engager des actions juridiques malgré les obstacles

L’employeur les oblige alors à signer rétroactivement de fausses fiches d’horaires de travail, à produire dans le cadre d’autres éventuels contrôles de l’IT. Il ordonne à Monir de rester caché au sous-sol tant qu’il n’y a pas de clients et de remonter en cuisine pour préparer les plats, mais dans le noir, toutes ampoules éteintes et ne s’éclairant qu’à la seule lumière de son portable, au risque de se blesser. L’employeur craignait sans doute un nouveau contrôle de l’IT, qui aurait constaté Monir en situation de travail en dehors de l’emploi de temps déclaré à l’IT suite au premier contrôle.

En février 2020, après validation de leur courrier par leur avocate, ils adressent à leur employeur une « prise d’acte » de la rupture de leurs contrats de travail, c’est-à-dire, aux torts exclusifs de leur employeur. Le 17 mars 2020, la France se retrouve confinée par l’épidémie de Covid-19, avant que Monir et Karim n’aient reçu leur solde de tout compte. Ils se retrouvent alors sans ressources, ne pouvant percevoir ni le chômage partiel ni l’Aide au Retour à l’Emploi car en attente de l’arrêt du jugement des Prud’hommes que France Travail exige pour le versement de l’ARE.  En juin 2020, après plusieurs relances, ils reçoivent enfin leur solde de tout compte, mais à des montants très inférieurs à ce qui leur est dû.

Suite à l’audience des Prud’hommes, les deux conseillers salariés s’opposant aux deux conseillers patronaux il a fallu patienter encore trois ans jusqu’à ce que les dossiers soient tranchés par un magistrat professionnel fin 2023.

Un verdict en leur faveur, mais des réparations partielles

Karim et Monir ont gagné sur la plupart de leurs demandes — paiement des heures supplémentaires, indemnités pour privations de congés payés et durées du travail dépassant les limites légales — mais pas sur le harcèlement moral et la rémunération indigne. Ils ont gagné des indemnités représentant 25 mois de salaire pour Monir et 21 mois pour Karim. Leur avocate peut maintenant envisager une procédure de mise en cause de la responsabilité de l’État au regard des délais de procédure excessifs imposés et d’une forme donc de « rupture dans la continuité du service public de justice ».

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HABITAT-CITÉ
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T 09 54 09 68 12 / F 09 57 82 56 15

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