[TÉMOIGNAGE]
Réhabiliter les T-shelters : une solution pour des milliers d’Haïtiens ?


TÉMOIGNAGE

Réhabiliter les T-shelters : une solution pour des milliers d'Haïtiens ?

Secteur - Haïti
Thématique - Habitat

Après le tremblement de terre de 2010, près d’un million de personnes se sont réfugiées dans des abris d’urgence distribués par les organisations internationales. Destinés à répondre à une situation de crise humanitaire, ces shelters parsèment le paysage haïtien. Dix ans après, beaucoup de personnes ayant perdu leur logement continuent d’habiter des abris inadaptés et souvent dégradés. Pourtant, avec peu de moyens, on peut les transformer en logement digne. Depuis septembre 2019, Habitat-Cité et les organisations haïtiennes Ojucah et Adresfem ont commencé à réhabiliter une trentaine de ces shelters dans la commune de Bainet, au sud-est d’Haïti.

T-shelter très dégradé. (Photo B. Bourdon)

Des abris inadaptés

« Ce shelter est couvert d’une toile en plastique. Elle se déchire par endroits, les animaux rentrent à l’intérieur et les poutres en bois sont mangées par les insectes. Tout est pourri. Dès qu’il pleut, l’eau s’infiltre partout. Et surtout il fait trop chaud là-dedans, on ne peut pas y rester la journée », se désole Cervantès, habitant de Sable Cabaret, près de Jacmel. De fait, il n’y habite plus mais vit dans la petite maison voisine, où cohabitent déjà 6 personnes.

« Après quelques années, les personnes qui ont reçu ces abris provisoires, ils se retrouvent sans abri une fois encore », constate Bal, responsable d’une organisation de Sable Cabaret. « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Il faudrait penser à plus long terme… »

En effet, le coût d’un shelter de base est élevé, 4500 $ en moyenne (350 $/m²). Et jusqu’à 15 000 $ pour un shelter  avec une structure métallique et des panneaux de contre-plaqué… A ce prix, il serait préférable de construire des maisons durables et mieux adaptées.

T-shelter très dégradé. (Photo B. Bourdon)

« Transformer les T.-shelters en logement décent, c’est possible »

A Bainet, zone d’intervention d’Habitat-Cité, près de 800 shelters auraient été construits après le séisme de 2010. La plupart sont des T-shelters, « abris de transition », une solution plus enviable et des réalisations de meilleure qualité que les simples abris en toile. Mais dans bien des cas, les panneaux de contreplaqué qui les recouvrent sont déjà complètement rongés par les insectes, l’humidité et le sel marin.

Cependant, ces T-shelters ont un atout : il est possible de les faire évoluer. Des organisations l’ont démontré dès les années qui ont suivi le séisme de 2010, et ont réhabilité des shelters pour en faire des logements plus pérennes. L’idée n’est donc pas nouvelle. « D’ailleurs, des familles ont aussi réhabilité des shelters avec leurs propres moyens », renchérit Benjamin Bourdon. « Le problème c’est que les constructions sont souvent dangereuses et pas antisismiques. Mais on s’en est inspiré. »

Avec la réhabilitation d’un premier T-shelter, Habitat-Cité et Ojucah ont adopté une démarche originale. « Pour le shelter de Mme Saint Althèse, nous avons cherché à démontrer qu’il est possible d’adapter un shelter en logement durable et confortable avec des moyens limités. Avec ce prototype, nous utilisons le plus possible des matériaux de récupération et des ressources locales », explique Benjamin Bourdon, chef de mission d’Habitat-Cité. Cette réhabilitation est d’autant plus pertinente que les T-shelters construits dans la zone de Bainet ont des qualités que n’ont pas la majorité des abris de ce type. « Leur structure est bonne ; c’est pour ça qu’on les réhabilite ! »

Réhabilitation et agrandissement d'un T-shelter (Photo A. Albert)

Avec des matériaux de récupération et des ressources locales

« Ces T-shelters sont faits d’une dalle en béton avec de solides fondations, d’une charpente métallique de bonne qualité et d’un toit de tôle assez résistant. » Une excellente base pour reconstruire.

« Même partiellement vermoulus, les panneaux de contre-plaqué aussi sont récupérés, pour des cloisons intérieures par exemple. Une partie du matériel d’origine est encore utilisable », confirme Benjamin Bourdon.

Les matériaux utilisés pour la réhabilitation dépendent aussi des ressources naturelles et sont choisis en fonction de leur disponibilité et des habitudes locales de construction. « Dans la zone de Bainet, nous favorisons l´utilisation de roches, très faciles à trouver sur place, et limitons l´utilisation de bois, beaucoup moins accessible », complète Benjamin Bourdon, qui précise que ce sont les bénéficiaires qui fournissent les pierres et le sable.

Bien sûr, au premier abord, le résultat ne paraît pas spectaculaire. Mais quand on se souvient de ces mêmes abris avant travaux de réhabilitation, la métamorphose est incroyable. « J’ai visité la maison de Mme Saint Althèse, la première réhabilitée, sans me rendre compte que j’étais dans un ancien shelter… « , témoigne Nadège Quintallet, chargée de mission d’Habitat-Cité. « Le logement reste petit mais il est tout à fait digne. C´est devenu une maison sûre, fonctionnelle, agréable et belle », s’enthousiasme Benjamin Bourdon.

A Brésilienne, village de la commune de Bainet, T-shelters et maisons traditionnelles se côtoient. Beaucoup nécessiteraient d'être réhabilités. (Photo B. Bourdon)

Un deuxième prototype a permis d’aller encore plus loin dans la démarche de rénovation d’un shelter. « Pour une famille nombreuse, nous avons décidé non seulement de réhabiliter le shelter mais de construire une extension, toujours en matériaux locaux. Là, on a vraiment une très bonne maison », explique Benjamin Bourdon. « Le problème est qu’elle est tellement bien que ça crée des jalousies ! », tempère-t-il.

Créer une dynamique locale

Face à l’ampleur des besoins de logement au niveau national, il n’est pas réaliste, ni même souhaitable, que les ONG assument seules ce défi. C’est pourquoi toute la philosophie de ce projet vise à proposer des solutions techniques accessibles au plus grand nombre et associe pleinement les habitants et les organisations locales.

« Tout le travail que nous avons fait peut être facilement reproduit par les habitants, à faible coût, sans aucune aide extérieure ni matériel importé », résume Benjamin Bourdon. « Nous avons vu aussi que sa réalisation a été plutôt simple et beaucoup moins coûteuse qu´une construction partie de rien. C´est donc un modèle qu´on espère voir reproduit de façon autonome par les ménages. »

La curiosité des voisins, les jeunes en particulier, venus nombreux assister aux premiers chantiers, permet d’être optimiste. Tout comme l’implication de l’équipe d’artisans du bâtiment, dont une majorité de femmes, formés par Habitat-Cité.

Avec Habitat-Cité et nos partenaires haïtiens, la majorité des artisans sur les chantiers sont des femmes. (Photo A. Albert)

Une action complémentaire

En complément de la transformation des T-shelters, Habitat-Cité poursuit la construction de maisons neuves en matériaux naturels, inspirées de l’architecture haïtienne et conçues pour résister aux séismes et cyclones. Mais c’est surtout sur la réhabilitation de 70 maisons traditionnelles que vont se porter les efforts. L’enjeu est tout autant culturel et patrimonial que d’éviter que des familles soient victimes de catastrophes naturelles et se retrouvent sans abri.

Un des premiers shelters agrandis et réhabilités avec des matériaux naturels locaux et des matériaux de récupération. (Photo B. Bourdon)

Ce projet est financé par la Fondation Abbé Pierre et l’AFD.

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