30 Jan [TÉMOIGNAGE]Dans la tourmente de l’exil.
TÉMOIGNAGE
Dans la tourmente de l’exil
Ville -Secteur - France
Thématique - Accès aux droits
A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés ce 20 juin, Habitat-Cité a souhaité publier le témoignage qu’elle a réalisé de la famille afin de dénoncer les nombreuses défaillances du système d’asile tel qu’il est actuellement mis en œuvre en France. Et aussi, montrer l’envie que ces familles ont de mener une vie normale dans leur nouveau pays.
Fuir pour protéger son enfant
La guerre, tout le monde la redoute, la guerre civile, c’est encore dix fois pire. C’est pourtant bien une guerre fratricide qui a fait irruption dans la jolie ville tranquille de Donetsk, une cité industrielle d’un peu moins d’un million d’habitants, lorsqu’en 2013 l’Ukraine se retrouve déchirée entre pro-russes et pro-ukrainiens. Les tirs de snipers, Olga la grand-mère, Irina la mère et Ksenia la fille de onze ans ont connu tout cela. Impossible de sortir après 15 heures. Le quotidien était tout simplement invivable.
D’abord, on essaya de faire comme si cela n’allait pas durer. Olga et Irina se retrouvèrent sans travail, mais Ksenia continua pendant quelques semaines à aller à l’école. Irina l’accompagnait, restait dans la classe, trop peur que les séparatistes débarquent et kidnappent l’enfant. Puis marcher dans la rue devint trop dangereux, ça tirait de partout : on arrêta aussi l’école. L’espoir était toujours que cette situation terrible ne perdurerait pas. Mais, un jour, la voiture d’Irina fut réquisitionnée par les séparatistes, puis ce fut son appartement.
Et quand l’ex-mari, qui avait un droit de garde de Ksenia, se mit en tête d’apprendre à sa fille à démonter et remonter des pistolets automatiques, les deux femmes décidèrent que la ligne rouge était franchie. Elles prirent tout ce qu’elles pouvaient mettre dans trois valises, prirent un bus, direction Kiev, Lviv, puis un minibus et les voilà arrivées à Paris.
Ignorantes de leurs droits
C’était le 2 septembre 2016. Elles ne disaient pas un mot de français, n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était la France ni de la manière dont elles seraient reçues. Une compatriote leur proposa de les accompagner pour déposer leur demande d’asile. Que s’est-il passé à ce moment-là ? La plateforme d’accueil (PADA) leur proposa-t-elle un placement en CADA qu’elles refusèrent par ignorance de leurs droits ? Cela leur aurait permis d’être hébergées et guidées dans la procédure d’asile. Ou bien, faute de place d’hébergement, ont-elles dû recourir à l’aide de cette femme rencontrée par hasard ? Elles ne le savent pas elles-mêmes ; elles ne comprenaient rien à ce qu’on leur demandait.
C’était leur accompagnatrice qui répondait aux questions. Elles étaient seules, trois générations perdues dans un pays inconnu, avec une seule interlocutrice, dont les motivations étaient, dans le meilleur des cas, floues. Il semble que les trois femmes étaient totalement abandonnées à elles-mêmes : pas d’hébergement, pas d’école pour la fillette ni de cours de français pour la mère. Pas d’informations tout simplement sur la procédure d’asile et les options possibles. Elles n’avaient aucune connaissance de leurs droits ni des institutions auprès desquelles elles auraient pu se rendre. C’était l’hiver, elles se retrouvèrent dans un isolement total. Ignorant tout de l’hébergement d’urgence, elles s’installèrent dans une chambre louée par l’intermédiaire ukrainienne alors même qu’elles n’avaient aucune ressource. Irina vendit les quelques affaires qu’elle avait avec elle pour faire face. Il n’y avait plus qu’à attendre la réponse à leur demande d’asile. L’attente, qui ne semble pas avoir été si longue, fut une torture.
Etre réfugié sans le savoir
Coup de chance ? L’interview à l’OFPRA se fit relativement rapidement et dès le 14 décembre, la petite famille bénéficiait de la protection subsidiaire. Encore faut-il le savoir ! Irina ne semble avoir jamais reçu de notification de cette décision. Un jour, n’y tenant plus, elle se rendit à l’OFII pour demander qu’on l’aide à retourner en Ukraine, il lui semblait que personne ne voulait d’elles en France ! C’est là que le fonctionnaire de l’OFII lui apprit qu’elles bénéficiaient de la protection subsidiaire. Elle ne savait pas ce que cela voulait dire, mais le sourire de l’employé lui fit comprendre que ça devait être bien. Elle reprit courage.
Mais elle était toujours dans le flou… Jusqu’à ce qu’un jour, dans un parc, elle entende parler russe à côté d’elle et qu’elle se risque à demander aux personnes qui elles étaient. Il se trouve que c’était des Tchétchènes qui l’encouragèrent à aller à la permanence d’Habitat-Cité, ce qu’elle fit dès le mercredi suivant. La rencontre fut chaleureuse. D’abord, parce que c’est toujours agréable pour nous, à Habitat Cité, de rencontrer des demandeurs d’asile à qui on a offert la protection, ne fut-ce que pour un an (on fera tout pour que ça dure !).
Et puis, parce que ce qu’il y avait à faire était relativement limpide. Trouver une assistante sociale qui prenne le relais, réaliser une ou deux traductions, faire le nécessaire pour le Pass Solidarité Transport, aller voir du côté du RSA : rien qui ne semble impossible même s’il y avait du pain sur la planche. Nous nous sommes donc attelés à la tâche. Depuis, même si c’est encore difficile, les choses avancent.
Vers une normalisation progressive
Ksenia est déscolarisée depuis trois ans : deux ans en Ukraine à cause du conflit qui s’éternisait et un an en France pendant leur procédure de demande d’asile. Habitat-Cité les a aidées à remédier à cette grave lacune. Récemment, elle a passé un test pour savoir dans quelle classe il faudra l’intégrer. Même si elle ne parle pas encore français, le professeur a été impressionné par ses compétences en mathématiques. Il faut dire qu’elle fait ses exercices de maths toute seule, aidée via Skype par un professeur de Donetsk qui l’a prise en amitié. Son jeune âge lui permettra d’apprendre rapidement le français et de combler le retard accumulé. Le RSA a enfin commencé à être versé, ce qui met fin à une angoisse terrible. La famille rêve de pouvoir à nouveau travailler pour subvenir à ses besoins et s’ancrer dans leur nouveau pays d’accueil.
La grand-mère espère reprendre son métier de comptable ; la mère aimerait finir sa formation de psychologue mais est prête à écouter toutes les suggestions. Un projet de déménagement en province est en cours avec France Terre d’Asile. La famille désire s’installer dans le sud de la France, dans une petite ville qui leur rappellerait un peu leur vie d’avant à Donetsk, et où le soleil est doux en hiver. Ksenia, quant à elle, est impatiente de retrouver les bancs de l’école.
Protection subsidiaire: contrairement au statut de réfugié politique qui donne droit à un titre de séjour de 10 ans, la protection subsidiaire donne droit à un titre de séjour d’un an renouvelable. Alors que le statut de réfugié politique est donné aux personnes qui craignent pour leur vie en raison de leur appartenance à un groupe ethnique, national, religieux, politique ou à une identité sexuelle, la protection subsidiaire est attribuée aux personnes dont la vie est menacée non pas en raison de leur identité mais à cause de la situation politique qui a cours dans leur pays d’origine.
PADA: Plateforme d’Accueil des Demandeurs d’Asile qui est le premier interlocuteur des demandeurs d’asile. Elle prend rendez-vous auprès de la Préfecture, doit informer les demandeurs d’asile sur leurs droits et leur proposer si possible une place d’hébergement.
CADA: Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile. Ces centres hébergent les demandeurs d’asile durant toute la procédure, les guident dans leur demande d’asile et assurent un suivi social global. En 2015, il y avait environ 22 000 places d’hébergement (source OFII) pour 80 075 demandes d’asile enregistrées (source Ministère de l’Intérieur).
OFPRA: Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. C’est l’organisme qui est chargé de l’instruction des demandes d’asile.
OFII: Office Français de l’Immigration et de l’Intégration. Organisme en charge du premier accueil des demandeurs d’asile.