[FOCUS PROJET]
Accélérer l’accès au logement des ancien·nes combattant·es en Colombie


FOCUS PROJET

Accélérer l'accès au logement des ancien·nes combattant·es en Colombie

Secteur - Colombie
Thématique - Habitat

Accélérer l’accès au logement des ancien·nes combattant·es en Colombie

Depuis le 1er août 2024, Habitat-Cité a initié un nouveau projet à Anorí, dans le département d’Antioquia, en Colombie pour accompagner d’ancien·nes combattant·es signataires des accords de paix de 2016 dans l’auto-construction de leurs maisons. Ce projet est réalisé en partenariat avec la Federación Efraín Guzmán qui regroupe 21 associations de la région du nord-ouest de la Colombie, associations qui représentent des signataires des accords de paix mais aussi des membres de la société civile. Le projet bénéficie de la participation active de la municipalité d’Anorí, du Conseil National de Réincorporation (CNR), de l’Agence pour la Réincorporation et la Normalisation (ANR) et de la mission de vérification de la paix de l’ONU, chaque acteur ayant à cœur de résoudre les nombreux défis qui se poseront au cours de cette année.

Aucun logement de construit 7 ans après les accords de paix

Le 1er août dernier a eu lieu le lancement d’un projet pilote d’un an en partenariat avec la Federación Efraín Guzmán, visant à co-construire des maisons avec et pour des signataires des accords de paix établis dans un camp, un des 24 Espaces Territoriaux de Formation et de Réincorporation (ETCR) créés dans le pays pour accueillir les quelques 13 000 signataires des accords de paix. Ces accords de paix  signés en 2016 ont prévu des indemnités pour le retour des ancien·nes combattant·es à la vie civile ainsi qu’une ligne budgétaire pour développer des activités productives, gages d’une autonomie financière.

Cependant, aucune ligne budgétaire pour la construction de logements n’a été prévue et la grande majorité des signataires vivent depuis plus de 7 ans dans ces camps provisoires. Ce sont de longs bâtiments en placo partagés en plusieurs blocs, chaque bloc abritant une famille. Une seule pièce sert à accueillir tous les membres d’une même famille qui partagent ensuite l’espace en différentes aires pour séparer les lits de l’espace consacré à la cuisine. Les douches et les WC sont construits en nombre à l’extérieur des bâtiments d’habitation. Les ETCR font plus figure de camping que de logement.

Une initiative unique portée par des signataires de paix 

Le seul ETCR où des signataires des accords de paix sont en voie d’avoir enfin leur propre maison est celui de Tierra Grata, dans la région de César, au Nord-Est de la Colombie. Les signataires de Tierra Grata ont décidé de mettre en commun leurs indemnités de 8 millions de Pesos (environ 1750 Euros) chacun, que tous les signataires des accords ont obtenu au début du processus de paix, ainsi que les indemnités mensuelles qu’ils perçoivent. Au bout de quelques années, la plupart des habitant·es de Tierra Grata ont presque achevé leur maison, d’une dimension d’environ 90 m², et seules restent les finitions à terminer et la mise en place de services de base pour toutes les maisons.

De la difficulté de construire en territoire rural  

Cependant, les habitant·es des autres ETCR n’ont pas mis en place une telle stratégie, pensant que l’Etat construirait rapidement des logements. Pourtant, si la location de terres pour bâtir les camps provisoires des ETCR a été plutôt facilitée, il n’en est pas de même pour l’acquisition de terres. L’Agence Nationale des Terres (ANT) est chargée d’étudier quelles sont les terres rurales qu’elles peut vendre à l’Etat afin d’en donner ensuite la propriété aux ancien·nes combattant·es. Ce processus complexe peut prendre plusieurs années. Près d’Anorí, un terrain de 51 hectares a été acheté et donné en indivision à plusieurs familles de l’ETCR. Mais sur les 51 hectares, seulement 1,5 hectares est constructible. La municipalité d’Anorí doit modifier le plan d’urbanisme pour faire passer ce terrain du statut de terrain rural à celui de terrain semi-rural. L’enjeu est d’importance car il n’est possible de construire qu’une seule maison par hectare en milieu rural, contrairement à un terrain semi-rural.

Une fois la modification du plan d’urbanisme entérinée, les permis de construire pourront être obtenus et les chantiers de construction commencer. Les délais très longs pour l’acquisition de terres et de permis de construire sont souvent décourageants pour les signataires des accords. Las, certain·es sont parti·es à la ville la plus proche dans l’espoir d’y trouver un emploi et un logement. Sur les 116 signataires des accords de paix établis à l’ETCR d’Anorí, il n’y en a plus désormais que 50, les autres étant partis en ville. Dans d’autres ETCR, certain·es ont rejoint des compagnons FARC qui avaient refusé de signer les accords, menaçant la paix précaire instaurée depuis 2016. Début 2024, le nombre de combattant·es qui ont repris la guerilla dans le sud du pays est estimé à 4500 personnes.

Une maison évolutive qui répond aux besoins des familles et aux contraintes du milieu 

Actuellement, parmi les 50 signataires des accords de paix et leurs familles vivant toujours dans l’ETCR d’Anorí, 28 possèdent en indivision un terrain où construire leurs maisons. Les 22 autres signataires sont pour le moment sans terres. Durant la première année du projet pilote porté par Habitat-Cité et son partenaire la Federación Efraín Guzmán, la première phase de projet consistera à réaliser des études topographiques et co-concevoir un modèle de maison avec les habitant·es, qui répond à leurs besoins mais qui prend aussi en compte les contraintes du terrain.

Puis dans une seconde phase, de janvier à juillet 2025, 4 maisons seront construites en utilisant des briques BTC, des briques en terre séchées produites par les habitant·es. A l’issue de cette première année, si le partenariat avec les habitant·es et la Federación Efraín Guzmán s’avère concluant, il est prévu de proposer aux financeurs un projet triennal pour la construction de 24 autres maisons sur ce même terrain mais également d’acquérir des terres pour les 22 autres familles de l’ETCR et d’y construire les 22 maisons restantes.

Un atelier de design participatif avec les habitant·es

En ce début de septembre, l’organisation d’un atelier de design participatif a permis aux habitant·es de l’ETCR d’Anorí de définir quelle serait leur maison idéale. Ils et elles ont d’abord énuméré toutes les pièces qui selon eux devraient figurer dans leur maison idéale. Puis, ils ont distingué les pièces qui leur apparaissaient comme absolument essentielles de celles dont ils pouvaient se passer. Ensuite, à l’aide de papier, de ciseaux et de colle, ils ont élaboré en groupe des modèles de maison. Sans surprise, les modèles que les habitant·es ont présenté s’inspirent très fortement des maisons rurales colombiennes typiques, tout en pied avec un couloir extérieur qui fait le tour de la maison et des colonnes qui soutiennent le toit. C’est un premier pas vers l’élaboration d’un modèle de maison qui devra prendre en compte bien évidemment les besoins des habitant·es mais aussi un certain nombre de contraintes tel que l’espace disponible sur le terrain.

Des extensions construites par les habitant·es

Les maisons construites ne feront dans un premier temps qu’entre 35 et 40 m², ceci afin de pouvoir construire le plus de maisons possible. A charge aux habitant·es d’assurer par la suite la construction de l’extension de leur maison. Dès la conception de la maquette, il faut donc prévoir la dimension finale de la maison (environ 70 m²) et quelles seront les pièces qui seront construites dans une seconde phase par les habitant·es eux-mêmes. Ce type de « maison évolutive » est un concept très répandu en Amérique latine. Des maisons évolutives ont déjà été construites par Habitat-Cité au Nicaragua, à Granada, pour permettra à davantage de familles de bénéficier d’un appui.

Dans ce type de projet, la transmission de compétences en construction aux habitant·es est un élément essentiel. Ainsi, les habitant·es vont développer des compétences qui vont non seulement leur permettre d’agrandir leur maison mais également de réaliser de menus travaux d’entretien sur leur logement, suite à une intempérie par exemple, et de garantir ainsi leur pérennité. Dans cette perspective, la Federación Efraín Guzmán réfléchit avec des acteurs bancaires et la municipalité aux moyens pour les habitant·es d’accéder à des prêts bancaires à taux zéro ou à des taux très faibles qui leur permettrait de financer ces extensions.

Des activités productives gages de stabilité économique

Les habitant·es de l’ETCR ont développé des activités productives au sein du camp où ils résident temporairement, puisque les accords de paix ont prévu des lignes budgétaires à cet effet. Certain·es d’entre eux ont développé des compétences pendant le temps passé à la guerilla comme ces femmes qui cousaient des uniformes militaires, des chaussures de marche, des sacs à dos pour équiper les combattant·es. C’est tout naturellement qu’elles se sont tournées vers la confection de vêtements et articles de randonnée. D’autres ont créé des savons et autres cosmétiques à partir d’ingrédients naturels, se sont formé·es à l’apiculture et à la production du café.

Mais ce n’est pas parce que le produit est de qualité que la commercialisation en est aisée. Il a fallu créer une marque, organiser la communication, développer des réseaux de vente, se charger de la logistique et du transport. Grâce au soutien de l’ambassade de France en Colombie et à des financeurs espagnols, la Federación Efraín Guzmán a pu consolider les filières de production des différentes coopératives. Mais toutes les activités productives n’ont pas été un succès et il n’est pas possible pour tous les habitant·es d’en vivre. Surtout, il faudra à terme déplacer ces lieux de production de l’ETCR, qui n’est que provisoire, vers le lieu d’habitat définitif des familles.

La production de briques BTC : activité économique et élément clef du projet d’auto-construction assistée

L’une des activités productives présentent à l’ETCR d’Anorí est la fabrication de briques BTC. Ces briques sont fabriquées à partir de terre rouge qu’on trouve en quantité dans la zone et à l’ajout d’un faible pourcentage de ciment (entre 5 et 6%) pour leur donner plus de résistance. Le mélange obtenu est mis dans des moules puis séché au soleil durant un mois. Les briques BTC ont l’avantage de nécessiter moins de temps de travail que la fabrication des adobes. Si les adobes sont également des briques de terre séchées au soleil, leur fabrication nécessite de respecter certaines étapes comme le malaxage qui peut prendre du temps comparé aux briques BTC. Il est possible de réaliser jusqu’à 300 briques BTC par jour avec l’utilisation d’une machine. En 5 jours, on obtient toutes les briques nécessaires à la construction d’une maison.

Si pour le moment les briques BTC ne sont que faiblement commercialisées – notamment en raison de la distance par rapport à la ville d’Anorí – cette activité est un atout pour le projet pilote. Il est en effet prévu que les maisons des signataires soient construites avec les briques BTC que les familles produisent. Les habitant·es de l’ETCR qui ont été formé·es à la réalisation de briques BTC sont quasiment tous et toutes parti·es mais certains ont repris le flambeau et continuent de fabriquer des briques en suivant la formule qui leur a été transmise.

Le projet pilote porté par Habitat-Cité et son partenaire la Federación Efraín Guzmán prévoit la formation des habitant·es en charge de la briqueterie pour qu’ils et elles améliorent leurs compétences dans la fabrication des briques BTC et qu’ils et elles soient formé·es à l’utilisation de la machine. Reste à savoir si les briques BTC seront produites à l’ETCR, distant d’une heure de mauvaise route du lieu de construction, ou bien si la briqueterie sera relocalisée sur le chantier. Cette dernière option semble la plus intéressante. Elle permettrait de réduire la perte de briques dans le transport et elle faciliterait la commercialisation de briques pour les particuliers et entreprises situés à Anorí et dans les environs.

Le projet pilote initié avec les signataires de l’ETCR d’Anorí comporte de nombreux défis qui nécessitera le concours de tous les acteurs institutionnels. Il génère également beaucoup d’enthousiasme en créant une possibilité d’accélérer l’accès au logement des signataires des accords de paix et en érigeant un nouveau modèle de coordination entre l’ensemble des acteurs institutionnels en charge de la réincorporation des signataires de paix.

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