18 Nov [TEMOIGNAGE]Philippe, professeur bénévole « il s’agit de bien plus que d’une langue à enseigner »
TÉMOIGNAGE
Philippe, professeur bénévole « il s'agit de bien plus que d'une langue à enseigner »
Secteur - FranceThématique - Insertion
Chaque semaine, plusieurs bénévoles d’Habitat-Cité délivrent des cours de français auprès de d’habitant·es de la ville de Pantin et des villes avoisinantes. Les bénéficiaires de ces cours y trouvent l’occasion, pendant 2 à 4h par semaine, de développer leur connaissance du français, de renforcer leur confiance avant de se lancer dans une recherche d’emploi ou de formation, ou encore d’échanger avec un groupe. Philippe, professeur de Français Langue Étrangère (FLE) au sein de l’association depuis 2017, nous livre ici ce que ces cours lui apportent personnellement. Habitat-Cité le remercie pour ce précieux témoignage.
« Il s’agit de bien plus que d’une langue à enseigner »
Cela fait maintenant sept ans que je suis « prof de FLE bénévole » chez Habitat-Cité. Sept ans que chaque semaine pendant presque neuf mois, je me rends dans une maison de quartier de Pantin avec dans ma besace un petit haut-parleur, un exercice sur les pronoms personnels, un poème de Victor Hugo, une chanson, un jeu de société, un sujet de préparation à un examen, une expression française, un manuel de grammaire, que sais-je ? Sept ans que j’en reviens avec un fragment de récit que je porte en moi et que je raconte parfois : un vers délicatement récité, un mot d’une autre langue écrit sur le tableau blanc, une confidence ou une prise de parole inattendue, des mots choisis traduits avec minutie en bengali, en arabe ou en cyrillique sur un cahier d’écolier. Sept ans que je voyage dans le passé, le présent et le futur avec des Bangladais·es, des roumain·es, des tchétchènes, des srilankais·es, des urkrainien·nes, des égyptien·nes, des syrien·nes, des afghan·nes,…masculin, féminin, marocain, marocaine, malien, malienne, maintes fois répété. Sept ans déjà, avec l’impression qu’il s’agit de bien plus que de bénévolat et d’une langue à enseigner.
« D’autres histoires se racontent. Des surprises, ensemble »
Car dans cet espace à la fois clos, protégé et ouvert sur le monde qu’est une salle de classe, d’autres histoires se racontent : quelque chose qui se dit de nous, avec nous, qui se dit de nos cultures respectives, de nos langues, de nos tracas, de nos empêchements, de nos moins-envie-de-faire, de nos désirs, de nos joies, de nos peines, de nos lassitudes, de nos manques de concentration, même de nos absences, de nos abandons. Quelque chose qui se dit sans se dire à cause des passés pas toujours simples ou des impératifs subis. C’est certainement un apprentissage qui se concrétise, avec des objectifs bien déterminés (diplôme de français, carte de résident,…), mais ce qui se passe, ce qui passe en premier lieu, c’est un échange, un accomplissement.
Plus que d’apprendre une langue, il s’agit de la visiter et de la partager. N’ayons pas peur des mots, n’ayant pas peur de nous en remettre à eux. Alors, dans cette salle de cours, disons plutôt sur ce terrain de jeu, chaque personne découvre à la fois ce qu’elle était venue chercher, mais aussi ce qu’elle ne s’attendait pas à trouver. Des surprises, ensemble.
« Un temps pour se raconter »
Dans cet espace de confiance et d’égalité, improbable tour de Babel où nous avons rendez-vous chaque semaine, nous nous amusons avec curiosité, nous nous réconfortons avec pudeur, nous nous encourageons, nous nous accrochons à un cadre, à un rituel, à une parole, un collectif, un regard, un rire simplement. C’est une piste aux étoiles et aux lettres inconnues pour certain·es, un territoire de découvertes, un refuge pour d’autres, un temps pour se raconter, un temps pour se poser, se reposer, respirer, un temps pour apprendre, un temps pour se projeter, un temps de doute et de labeur parfois, de petites victoires sur soi souvent, un temps des lendemains, un temps des futurs possibles plus que des conditionnels passés, des imparfaits ou des plus que parfaits, mais toujours un présent précieux et fugace où nous parlons la même langue.
Avec les quatre points cardinaux qui nous servent de boussole, nous tentons patiemment au milieu des silences d’abord d’écouter, puis la parole advient dans des phonèmes, des prononciations hésitantes, chuchotées mais si belles à entendre dans leurs fragilités. Nous lisons alors sur les lignes et les lèvres avant de prendre enfin le chemin plus risqué de l’écriture, ultime trajet, jamais achevé, d’où jaillissent quelques secrets, quelques inventions maladroites. La langue circule, sort de la classe, se mêle à d’autres et nous donne de l’espoir, c’est ce qui compte à la toute fin.
Quand le quotidien nous pèse, les mots dansent et nous dansons avec eux. Un sourire, un regard qui dit la difficulté, un rire, un bâillement, peu importe, nous partageons une langue parfois à tour de rôle, parfois en chœur, pour le plaisir de dire et c’est bien comme cela.
Une action soutenue par