[TÉMOIGNAGE]
Aslambek : « Les gens, ils dorment où ? Dans leur bureau ? »


TÉMOIGNAGE

Aslambek : "Les gens, ils dorment où ? Dans leur bureau ?"

Secteur - Ile de France
Thématique - Habitat, Accès aux droits

Ils ont fui la dictature, la guerre, la terreur et ont choisi la France. Le droit d’asile les place sous la protection de l’Etat. Mais pour beaucoup d’entre eux, au bout d’un exil forcé, il y a l’errance et la précarité au quotidien. Certains se retrouvent dans des squats, dernière alternative à la rue. Comme les 25 habitants d’un squat de la banlieue parisienne – un ancien atelier abandonné – auxquels Habitat-Cité vient en aide. Nous vous proposons le témoignage de Aslambek [1], l’un des habitants.


Aslambek  a 33 ans, il est originaire de Tchétchénie et est arrivé en France il y a 13 ans. Il a été déscolarisé pendant les deux guerres en Tchétchénie dans les années 1990. Pendant cette période, sa priorité était la survie.

« J’ai perdu 11 ans de ma vie »

Aslambek a obtenu un titre de séjour de 10 ans en 2018, après un parcours administratif tumultueux. Il a formulé plusieurs recours pour sa demande d’asile et a vécu une rétention de 25 jours en 2016 suite à une Obligation de quitter le territoire français. Il se souvient de ses démarches : « J’ai été plusieurs fois à la préfecture pour demander les papiers et au guichet la dame m’a dit “ramène des fiches de paye”. J’ai dit “comment je peux ramener des fiches de paye si on me donne pas le droit de travailler ? » Elle m’a répondu : “si t’as pas de fiches de paye, on peut pas te donner de papiers“ ! »

« A la préfecture, ils ne regardaient même pas les documents que nous amenions. Je ramène le document demandé et après ils me disent de ramener autre chose. A chaque fois c’est pareil. C’est de la provocation, de l’humiliation. Ça bouscule… A cette dame, je lui ai dit “j’en ai marre !”  Quand j’ai finalement reçu les papiers, je n’ai même pas été content. Je venais de passer 10 ans comme un prisonnier. »

Depuis la régularisation de sa situation, Aslambek a obtenu un emploi en CDI, sur des chantiers en Ile de France, payé au Smic. Avant cela, il travaillait au noir avec des horaires contraignants et des rémunérations insuffisantes.  Il a ainsi travaillé 5 ans en distribuant des tracts dans les boîtes aux lettres puis ensuite dans le bâtiment. « Pour rester libre. » Il a demandé la Couverture maladie universelle mais n’a toujours pas accès à ses droits.

Une douche pour 25

Aslambek a vécu dans un foyer à Saint-Gratien (Val d’Oise), où il a suivi des cours de français pendant 7 mois, mais celui-ci a fermé. Il vit dans ce squat de la périphérie de Paris depuis 5 ans, un bâtiment désaffecté. Il explique que c’est une situation d’incertitude : « Parce qu’on ne sait pas jusqu’à quand on peut rester ici. Chaque jour c’est chaud. Mais bon, on ne sait pas, après on verra ».

Pour lui, la vie au sein du squat est contraignante : « Quand tu as un travail, tu as besoin de rentrer chez toi, de dormir. Mais dans un squat, c’est pas comme ça. La douche tu ne peux pas l’utiliser. Ce n’est pas facile. Ici, il y a une seule douche pour tout le monde. On est 25. C’est quand même mieux d’habiter tout seul. Ici tu n’es pas libre, t’es pas chez toi. »

« Dans ce squat je suis une des rares personnes qui travaillent; les autres ils n’ont pas le droit de travailler. » Cependant, Aslambek rencontre des obstacles dans sa recherche d’un logement, après avoir déposé des demandes de logement social sans réponse depuis deux ans. « Ils construisent des bureaux partout. Ok, les gens ils travaillent… mais ils dorment où après ? Ils dorment dans leur bureau ? Je ne sais pas comment il faut faire pour avoir un logement. On me demande un salaire de 3000 euros par mois [2]. Tu ne peux pas avec le smic. Avec le smic, tu payes 800 euros de logement, il te reste que 300-400 euros pour manger ».

Mais le squat est aussi un lieu de partage, même si le devoir d’entraide peut parfois être pesant. « Il y a un truc spécial en squat. Chaque jour, il y a quelqu’un qui te demande : “tu as ça ? tu as des pommes de terre ? “ Tu dis pas non. Tu sais bien qu’ils ont pas d’argent. Même si je n’ai pas toujours envie, quand je prépare à manger, je ne le fais pas que pour moi. »

« J’aimerais bien avoir des amis en France »

Aslambek  aimerait vivre à Deauville ou Trouville car « c’est calme et moins cher qu’à Paris », mais se pose la question du travail. A Pantin, il aime l’accessibilité offerte par les transports en commun et la mixité culturelle.

« Moi, j’aimerais bien avoir des amis mais je n’y arrive pas. J’essaye de parler mais les gens… Je ne sais pas. Il y en a qui ont peur. Chez nous, c’est pas comme ça. Quand tu rencontres des gens, après tu vas les voir, tu les appelles. Ici il faut avoir été à l’école, avoir grandi ensemble. Même en Russie, en deux-trois jours tu peux trouver des amis, des copines. En France, ça prend des années. Parce que c’est une autre culture. C’est la démocratie peut-être ? L’individualisme. »


[1] Son nom a été modifié.

[2] Dans le parc privé

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