[TEMOIGNAGE]
« Nourrir ma communauté, c’est d’abord protéger la Terre »


TÉMOIGNAGE

« Nourrir ma communauté, c'est d'abord protéger la Terre »

Secteur - Haïti
Thématique - Habitat

Témoignage de Béthie, formatrice en permaculture

Béthie Nicolas est assistante administrative d’Ojucah, une organisation du Sud-Est d’Haïti qui est notre partenaire local dans ce pays. Depuis 2019, Béthie est aussi responsable d’une « forêt comestible » et s’affirme de plus en plus comme experte en permaculture. Ce type d’agriculture est particulièrement adapté pour lutter contre les effets dévastateurs de la déforestation tout en contribuant à améliorer le quotidien des paysans haïtiens. Béthie nous explique pourquoi elle en est aujourd’hui convaincue et comment elle a adopté la permaculture. Témoignage d’une femme dyam ! Une femme combative et courageuse.

La permaculture, une révélation

Béthie habite à Poli, une zone rurale près de Jacmel, dans le sud-est d’Haïti. « Ici, on est tous plus ou moins agriculteurs ». Mais ce n’est qu’en 2019 qu’elle a commencé à s’intéresser à la permaculture. Elle a alors eu l’occasion de participer à un stage avec « Quisqueya Permacultura », en République Dominicaine voisine. « La permaculture, c’est un système qui permet d’optimiser les plantations en associant des espèces qui s’apportent des bénéfices mutuels. C’est très différent de l’agriculture traditionnelle qui privilégie la monoculture. » Pour Béthie, ça a été une révélation. Et elle espère que ça deviendra une révolution ! « Avec cette méthode, on a moins de travail et on a plus à manger ! » C’est « travailler moins pour produire plus » en quelque sorte…

C’était un désert…

Pour démarrer une forêt comestible, ou jardin forestier, il faut tout d’abord rétablir le couvert végétal. Particulièrement sur les sols haïtiens que le déboisement a appauvris et que les pluies ont lessivés et érodés. A chaque averse, la terre fertile est en effet emportée vers la mer, au point que les sols dénudés deviennent aussi durs et infertiles que des briques. « Au début, le terrain, c’était un désert ! Les gens pensaient qu’on était fous à vouloir planter ici. » Mais en appliquant les méthodes de la permaculture, les sols ont progressivement retrouvé leur fertilité. « Pour démarrer une forêt, il faut d’abord nourrir la terre, lui permettre de se reconstituer. On commence à recouvrir les sols de paille. Ensuite, on plante des rampes de vétiver et d’autres espèces qui retiennent bien l’eau. L’étape suivante est d’épandre un compost « bocashi », un engrais facile à faire avec des cendres, de la bouse de vache, de la levure et du jus de canne à sucre. » Uniquement des ressources disponibles localement et faciles à réunir.

Nourrir la terre pour qu’elle nous nourrisse

« Le temps que la terre se régénère, il faut attendre une année avant de commencer à planter. Beaucoup d’agriculteurs n’ont pas la patience, même s’ils comprennent le processus. Pourtant, quand on voit les résultats, ça vaut vraiment le coup. »

« On plante selon les saisons bien sûr, avec les pluies. Et on récolte au bout de 2 à 3 mois seulement. Dans ma forêt, j’ai maintenant des bananes, des ananas, mais aussi des légumes comme des tomates et des aubergines. Ça a poussé très vite. »

Essaimer

« Le meilleur argument, c’est de montrer que ça fonctionne ! Au sein d’Ojucah, nous sommes 6 personnes à travailler sur les forêts pilotes à Denard et à Poly. Il y a aussi désormais 4 autres familles qui ont créé leur forêt comestible. L’objectif est d’inciter plus de familles à se lancer dans l’aventure.  J’ai envie de partager mes connaissances. Et c’est maintenant mon rôle de formatrice d’apprendre aux autres. Je conseille même mon mari qui est agriculteur ! » Après la formation en République Dominicaine, Béthie doit en effet suivre une formation pour être à son tour formatrice. Prévue fin 2022, elle a été repoussée à 2023 à cause de la situation très difficile du pays.

Elle profite aussi de la visite de spécialistes en permaculture venus dans la région pour travailler avec les habitant.es. Comme en 2019, avec Fyto Sandoval, qui en une semaine de pratique a appris des techniques de reforestation aux habitants. Ou encore trois autres formations en Haïti données par le « Global Freedom Project ». « Lors de la dernière mission en 2022, il y a le coordinateur de cette organisation – Roger Gietzen – qui est venu des USA pour renforcer nos connaissances. Nous étions une trentaine d’habitants à participer. On a planté des centaines de plants à Poly. Du café, des manguiers, des chênes… » Le café avait quasiment disparu alors qu’on en récoltait beaucoup dans la région. Il s’épanouit maintenant à l’ombre des arbres des petites forêts nourricières de la zone.

La force du Konbit

« Quand on plante de grandes quantités, on fait appel au konbit. C’est le système d’entraide haïtien. On travaille ensemble, on partage de bons moments, on rit beaucoup. C’est aussi un bon moyen pour sensibiliser, partager les connaissances, se former et apprendre aux autres des techniques d’agriculture durable. »

« On a aussi organisé un système de collecte de graines alimenté collectivement, par toute la communauté. On a maintenant une grande variété à disposition. » Une initiative prometteuse mais qui est encore au stade expérimental.

« On a tout à y gagner ! »

Dans une forêt comestible, on doit trouver tout ce dont on a besoin : bois de chauffe, de construction, fruits et légumes, plantes médicinales… Mais aussi tout ce dont la forêt a besoin, on recrée un écosystème. Il y a même des animaux qui reviennent fréquenter la zone, comme des lapins, des oiseaux, voire des renards, selon certains. « On nourrit la terre et en retour, la terre nous nourrit ! » C’est une polyculture dont l’arbre est le pilier central.

« Mon objectif est de former plus de gens à la permaculture et qu’il y ait plus de forêts familiales. On a tout à y gagner ! » La terre comme les hommes.

Note : Dans le cas de ces « forêts comestibles », on parle plutôt d’agriculture syntropique, qui est une forme de permaculture. « L’agriculture syntropique est une forme d’agriculture régénératrice qui prend pour modèle les écosystèmes des forêts tropicales. » (https://wikifarmer.com)

« L’agriculture syntropique se base sur le processus naturel de la régénération des écosystèmes dans le but d’y introduire des espèces comestibles et commercialisables. Le principe est de remettre les plantes dans les conditions de lumière et de fertilité qu’elles auraient dans leur milieu naturel. » (https://agricultureduvivant.org)

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