[TEMOIGNAGE]
Ils ont gagné leurs Prud’hommes


TÉMOIGNAGE

Ils ont gagné leurs Prud'hommes

Secteur - France
Thématique - Accès aux droits

Habitat-Cité a mis en place une permanence sur le droit du travail en septembre 2017 à Pantin. Cette permanence s’adresse prioritairement aux étrangers travaillant en France et qui ont des litiges avec leur employeur : absence de contrat de travail, paiement partiel des salaires, harcèlement moral, licenciement abusif. La permanence accueille également des travailleurs sans papiers non déclarés qui souhaitent connaître les modalités de régularisation par le travail.

Les travailleurs étrangers reçus lors des permanences se trouvent souvent dans une situation de grande précarité au travail, du fait que leurs droits ne sont pas respectés. Parfois, il s’agit d’une simple méconnaissance de la législation du travail – complexe – de la part de l’employeur qui peut être réglée par une médiation d’Habitat-Cité. Dans d’autres cas, il s’agit de l’exploitation délibérée du salarié étranger, plus vulnérable que d’autres salariés de par sa situation administrative ou financière difficile. Habitat-Cité accompagne alors les personnes dans le montage de leur dossier aux Prud’hommes en relation avec des avocats.

Cette permanence reçoit le public un jeudi sur deux de 17h à 20h et accueille environ 40 personnes par an. 3 ans après sa création, nous dressons un bilan de cette action en vous présentant la situation de 3 salariés qui ont obtenu gain de cause auprès des Prud’hommes.

Raluca : un congé parental comme motif de licenciement

Raluca est employée en CDI 20h par semaine par une société de nettoyage à domicile de particuliers.

Enceinte, elle part en congé maternité de septembre 2016 à mars 2017 puis en congé parental. Le congé parental d’éducation (articles L.1225-48 et suivants du Code du travail) d’une durée initiale d’un an peut être prolongé deux fois. Mais à chaque fois la salariée doit prévenir son employeur qu’elle veut reprendre une nouvelle année de congé parental.

Malheureusement, une employée de la CAF lui explique, à tort, qu’elle peut prendre les deux années suivantes d’un seul coup. D’autorité, elle écrit même au feutre un « 9 » sur le « 8 » sur le formulaire de congé parental pour que la fin passe directement de mars 2018 à mars 2019.

Pendant 6 mois son employeur ne s’aperçoit de rien et continue à lui adresser des bulletins de salaire avec la mention « congé parental d’éducation ». Ce n’est qu’en septembre 2018 qu’il découvre cette anomalie et adresse directement une convocation à entretien préalable. Sans même avoir cherché à la contacter, ni à régulariser sa situation ou à lui demander de reprendre son poste.

Raluca est licenciée pour faute grave le 16 octobre 2018. Le courrier de licenciement précise même « vous avez modifié ou fait modifier la date de votre fin de congés en la prolongeant » sans, bien sûr, apporter la moindre preuve de ces accusations.

Habitat-Cité rappelle par courrier à l’employeur que ce licenciement est injustifié et qu’il est en devoir de l’annuler. Sans réponse, Raluca saisit les Prud’hommes de Paris qui déclarent ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnent la société à 8000 € de dédommagement.

Nassim : « T’es pas là pour donner des conseils »

Nassim, marié et père de 4 enfants, est seul à subvenir aux besoins de sa famille. Par bonheur, il a décroché il y a 3 ans un CDI à temps plein dans un supermarché. Un jour, il avertit son chef de rayon que la température de la chambre froide baisse régulièrement et qu’elle ne garantit plus la qualité des aliments. Réaction immédiate : « Vas travailler, t’es pas là pour donner des conseils ! ». S’ensuivent des insultes devant les clients, l’obligation de le prévenir pour aller aux toilettes ou en pause, le silence gêné des autres employés…

Ayant souscrit une protection juridique auprès de son assurance, il rencontre un conseiller qui rédige un courrier à la direction du supermarché informant que le harcèlement moral est prohibé et la menaçant de poursuites aux Prud’hommes. Nassim refuse ce courrier, le trouvant provocateur et préférant une phase de conciliation. Oubliant son refus, l’assurance adresse ce courrier tel quel à la direction du supermarché.

La direction diligente aussitôt une rapide enquête interne concluant à l’absence de tout harcèlement moral au sein du magasin. Puis, Nassim est mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.



Nous le rencontrons juste avant cet entretien. Nous lui conseillons d’y aller, accompagné d’un conseiller du salarié afin qu’il puisse attester des reproches de la direction et des arguments en défense. Nous rédigeons un courrier à l’assurance afin qu’ils assument cette grave erreur et des conséquences à venir. Ils reconnaitront n’avoir pas obtenu l’accord formel de Nassim et prendront en charge l’intégralité des frais d’avocat, c’est bien le moins.

Lors de l’entretien, le directeur du magasin reproche à Nassim la présence de nombreux produits alimentaires (biscuits, etc.) qu’il aurait laissés se périmer dans les rayons, ce qu’il conteste vivement.

Surtout, une faute ne justifie un licenciement que si elle est imputable au salarié considéré fautif et suffisamment grave pour empêcher son maintien dans l’entreprise. Sans procédure précisant quels salariés étaient responsables de quels rayons ou produits et comment ils devaient contrôler leurs dates de péremption, on ne peut accuser Nassim de ces faits. Cela ressemble plutôt à une procédure bien rôdée pour se débarrasser rapidement d’un employé qu’on croit incapable de se défendre.

Son licenciement lui est notifié par courrier recommandé le 9 avril 2018. Mohamed saisit le tribunal des Prud’hommes de Bobigny le 13 juin 2018. L’audience se déroule le 9 septembre 2019 ; le jugement, reporté trois fois pour cause de pandémie, tombe le 27 mai 2020.

Déclarant que « les griefs invoqués n’étant pas étayés », les Prud’hommes condamnent logiquement le supermarché à payer l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité légale de licenciement, les jours de mise à pied, les congés payés qu’il aurait acquis pendant ces jours et 1500€ de frais de procédure, soit un total de 11 736 euros pour Nassim.



Monica : un travail sous haute surveillance

Monica est serveuse dans un bar depuis 6 ans. Censée être à temps partiel 17 heures par semaine, elle travaille du lundi au samedi de 5 à 15 heures, soit 60 heures par semaine. Pour 554 € nets par mois. Son patron utilise la caméra de vidéosurveillance pour la surveiller. Il lui envoie des textos avec copie d’écran avec des injonctions comme « Arrête de jouer sur ton portable, y a des clients ». Lorsqu’elle lui annonce être enceinte et ne plus pouvoir travailler, il la licencie sans entretien mais renseigne l’attestation Pôle Emploi avec le motif « congé maternité ». Puis, il l’embauche de nouveau, cette fois à 35 heures par semaine pour 1198 €, mais toujours pour ­60 heures réellement travaillées.

Sur nos conseils, elle recueille des témoignages de clients réguliers et d’anciennes serveuses qui travaillaient les après-midis. Avec beaucoup de succès car tous avaient bien conscience de sa situation. En janvier 2019, elle rompt son contrat de travail aux torts de l’employeur. En mai 2020, les Prud’hommes reconnaissent la « méconnaissance du statut protecteur lié à la grossesse » et condamnent à indemniser Monica à hauteur de 10 014 €. Ils requalifient le salaire à 2 606 € par mois et imposent le paiement de 36 972 € d’heures supplémentaires impayées, 8 200 € de congés payés non pris, 15 634 € au titre du travail dissimulé et de nombreuses autres indemnités pour un total de 97 526 €.

A travers les décisions rendues par les Prud’hommes, ces personnes ont obtenu certes des indemnités, mais elles ont surtout obtenu la reconnaissance de leurs droits en tant que citoyen et salarié, la reconnaissance de leur dignité en tant qu’être humain. La nouvelle confiance en elles qu’elles ont acquise va aussi leur permettre de se positionner différemment dans la relation à l’employeur, pouvant amener des bénéfices mutuels. Elles ont la possibilité surtout d’expérimenter le travail comme une source également d’épanouissement personnel, où elles peuvent être considérées pour leur compétences, pour les missions qu’elles remplissent, et non pas vivre le travail comme une aliénation.

Habitat-Cité reçoit en permanence un jeudi sur deux de 17h à 20h à Pantin. Pour prendre rendez-vous avec notre équipe, vous pouvez nous joindre au 06 52 23 28 63.

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HABITAT-CITÉ
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