31 Jan [TÉMOIGNAGE]La Tchétchénie, un État de non-droit
TÉMOIGNAGE
La Tchétchénie, un État de non-droit
Ville -Secteur - France
Thématique - Accès aux droits
A l’occasion du 20 juin, journée mondiale des réfugiés, Habitat-Cité souhaite évoquer le rapport rédigé sous la direction de Svetlana Gannouchkina, Présidente du Comité Assistance civile et membre de l’ONG russe de défense des droits de l’Homme Mémorial. Ce rapport intitulé « Les Tchétchènes en Russie » a été rédigé en 2014 et traduit récemment par l’équipe bénévole d’Habitat-Cité. Il évoque les persécutions que subissent actuellement les Tchétchènes en Russie et met en lumière les raisons pour lesquelles de nombreux Tchétchènes fuient encore leur pays pour demander l’asile.
Le règne de la peur
Afin de pouvoir se maintenir au sommet de la République fédérale de Tchétchénie[i], le président Ramzan Kadyrov gouverne d’une main de fer et utilise la terreur pour dissuader toute velléité de rébellion. Les enlèvements, les tortures et les meurtres de civils non seulement n’ont pas cessé, mais il semblerait qu’ils n’aient pas diminué alors que la guerre est terminée depuis 2007[ii]. Pourtant, il est désormais très difficile d’avoir des chiffres fiables sur les disparitions et meurtres de civils, étant donné que les familles n’osent plus porter plainte auprès des forces de police. Elles craignent les représailles de la part des autorités puisqu’un disparu est a priori considéré comme un potentiel terroriste ayant pris le maquis. Ainsi, au lieu de lancer une enquête sur les conditions de cette disparition, la police peut au contraire se mettre à soupçonner et harceler la famille. Les familles ne souhaitent également plus être défendues par les ONG de défense des droits humains car elles peuvent s’attirer l’ire des autorités. Le recours aux ONG risque d’aggraver la situation du disparu, si celui-ci est encore en vie, et de mettre en péril la vie des autres membres de la famille. Cette absence quasi-totale de cas reportés, comparée à la période de la seconde guerre de Tchétchénie, est un indicateur à lui seul de la dégradation de la situation des droits de l’Homme dans la République de Tchétchénie.
Les représailles sur la famille et la notion de culpabilité collective
Quel est le mobile de ces exactions à l’encontre des civils ? Fabriquer de toute pièce des terroristes que l’on servira à la justice et entretenir de ce fait dans les media l’idée qu’il existe toujours une menace terroriste en territoire tchétchène et qu’un gouvernement fort doit se maintenir au pouvoir. Mais il peut s’agir aussi de contraindre des personnes à rejoindre le camp du pouvoir et d’en faire des délateurs ou des kadyrovtsy, des membres de la milice privée de Ramzan Kadyrov. La peur fonctionne car pour obliger une personne à passer aux aveux ou à se rallier aux forces de l’Etat, des menaces sont systématiquement portées sur la famille du détenu. La notion de culpabilité collective revient souvent dans les discours du président de la République de Tchétchénie et est régulièrement mise en pratique, comme ces familles dont les maisons ont été brûlées par le pouvoir suite à la participation d’un de leurs membres à une incursion armée de rebelles à Grozny en décembre 2014. Ces « peines » sont non seulement contraires aux principes du droit russe et international mais elles rappellent également des événements qui n’appartiennent en général qu’aux temps de guerre.
L’absence de justice
La mise en œuvre de la peine collective – qui est une notion qui n’existe pas dans le droit russe – montre que l’interprétation de la loi et l’application de la justice sont soumises au bon vouloir des autorités. De nombreuses violations du droit sont observées : arrestations et mises en détention sans justifier le motif et sans respecter les procédures, violences et tortures systématiques lors des interrogatoires, pression sur les avocats et les juges pour que le verdict soit conforme à ce que les autorités exigent, fabrication de fausses preuves pour incriminer un détenu, conditions de détention indignes, harcèlement et persécutions spécifiques envers les détenus issus des républiques du Nord-Caucase dans les prisons russes, non-respect des droits des détenus comme le droit à recevoir des soins, impunité totale des policiers coupables d’exactions, confiscation arbitraire de biens et propriétés. Si certaines exactions ont également cours en Russie, leur caractère systématique est spécifique à la Tchétchénie. La république de Tchétchénie est ainsi devenue un État de non-droit absolu.
Les femmes : nouvelles victimes du régime en place
Afin de contrer l’influence des wahhabites et proposer à la jeunesse tchétchène un modèle religieux à suivre, le gouvernement a amorcé un mouvement qu’il présente comme un « retour aux traditions » pour le moins contestable sur le plan historique. Ce sont surtout les femmes qui font les frais de ces nouvelles pratiques. Pression sur les femmes pour qu’elles se voilent, mariages de mineures sans leur consentement, violences physiques, disparitions et meurtres de femmes sont de plus en plus fréquents. L’obligation de porter le voile ou le mariage d’une mineure sont contraires au droit russe, mais sont légitimés par le respect de la charia, qui n’a pourtant pas valeur de loi dans la Fédération de Russie. Enfin, les femmes qui étudient ou qui lancent leur propre affaire font preuve de beaucoup de courage alors que le régime n’accepte pas qu’elles prennent leur indépendance et qu’elles sont sommées de rester à la place qui leur a été assignée. Ces femmes courageuses deviennent ainsi la proie désignée de la violence d’Etat comme le montrent certaines affaires criminelles analysées dans le rapport.
Où fuir ?
Svetlana Gannouchkina met en évidence l’impossibilité pour les Tchétchènes persécutés de trouver refuge ailleurs en Russie, à l’extérieur de la République de Tchétchénie. Il leur faut en effet s’enregistrer auprès des pouvoirs publics pour se loger, étudier ou travailler. Les autorités de la République de Tchétchénie peuvent dès lors facilement les retrouver. La seule issue possible semble être l’Europe pour demander l’asile. Une demande d’asile désormais très difficile à obtenir pour les Tchétchènes puisque la seconde guerre de Tchétchénie est officiellement terminée depuis de nombreuses années et que la République de Tchétchénie n’est pas considérée par l’Union européenne comme un régime bafouant les droits de l’Homme.
Pour accéder à la traduction en français du rapport, cliquez sur le document suivant : rapport_memorial_2014_vf
[i] La République tchétchène fait partie de la Fédération de Russie. Le Président de la république est nommé par le Président russe. [ii] La guerre est officiellement terminée le 1er février 2000 mais la guérilla des séparatistes perturbe encore le territoire tchétchène jusqu’en 2007.