[TÉMOIGNAGE]
Des faubourgs de Moscou aux bidonvilles du Nicaragua, l’incroyable histoire de «la Russa»


TÉMOIGNAGE

Des faubourgs de Moscou aux bidonvilles du Nicaragua, l’incroyable histoire de «la Russa»

Ville - Granada
Secteur - Nicaragua
Thématique - Habitat

Habitants de bidonvilles, de campements de fortune ou de squats, les personnes que nous aidons à sortir de la précarité nous confient souvent leurs histoires, tranches de vie tour à tour tragiques, émouvantes ou drôles. Des histoires vraies, dignes d’un roman. C’est le cas de Raïssa, bénéficiaire de la construction de sa maison, grâce à l’action de la Casa de la Mujer de Granada et d’Habitat-Cité. Raïssa, « la Russa ».


On ne peut la manquer, quand on traverse la Sabaneta, un quartier populaire de Granada. Elle vit au Nicaragua depuis 30 ans mais sa peau claire la désigne toujours comme « chela » (mot d’argot, littéralement « laiteuse », pour qualifier les personnes à la peau blanche). On la surnomme aussi « la Russa », tout simplement. Sous le perron de sa nouvelle maison, de sa haute stature, son regard bienveillant nous accueille d’un éclat gris-vert.


Sortir du bidonville

Si les premiers temps ont été durs, Raïssa a aussi rencontré beaucoup de solidarité et d’amitié sur son chemin. A l’instar de Maria-Lydia, directrice de la Casa de la Mujer, qui a su l’écouter et la soutenir dans les moments les plus sombres. Comme lorsqu’elle était sous le coup d’une expulsion abusive, victime d’un propriétaire véreux. «Je n’avais pas de titre de propriété pour prouver que j’avais acheté le petit terrain, ni d’argent pour l’avocat et défendre mes droits». Elle se retrouve à la rue, avec ses enfants. Maria-Lydia réussit à faire annuler l’expulsion et lui promet de l’aider à construire une «maison digne».


Jour de l’inauguration de la nouvelle maison de Raïssa avec la bénédiction du prêtre, comme il est d’usage au Nicaragua. (Photo Nadège Quintallet)


Amour et révolution

Comment une femme des faubourgs moscovites se retrouve dans la chaleur du Nicaragua? La faute à Cupidon ! Lors de ses études à Pensa, à 60 km de Moscou, Raïssa rencontre un jeune ingénieur nicaraguayen, Pedro. Son futur mari. Mais la révolution sandiniste a besoin de lui et l’appelle à rejoindre ses rangs. Alors, en 1987, Raïssa et Pedro partent, avec leur fille de deux ans, au Nicaragua. « Je ne savais pas que c’était si dangereux ! ». Les Contras, l’opposition soutenue par les Etats-Unis, jouent leurs dernières cartes pour en finir avec le gouvernement de Daniel Ortega. « Amoureuse et naïve », juge-t-elle, Raïssa débarque dans un pays où la guerre civile fait rage depuis plus de 10 ans.

Alors que son mari prend le maquis, elle se retrouve seule, avec sa fille, dans ce pays dont elle ne connaît rien. Lorsque naît leur deuxième enfant, Pedro est toujours dans la guerilla. Mais ce ne sont pas les derniers soubresauts de la guerre qui ont marqué Raïssa. Etrangère dans un pays déchiré, dont elle ne maîtrise ni les codes ni la langue, elle ne peut compter que sur elle-même pour faire vivre sa famille au milieu du bidonville. «Les Russes sont solides. Mais la solitude, c’est pire que la maladie…»


Après le scandale de l’Irangate, le gouvernement de Reagan est obligé de cesser son soutien aux Contras. Privées de l’aide des Etats Unis, les forces anti-sandinistes déposent les armes; la paix arrive enfin. Pedro est alors démobilisé et, après des mois caché dans les montagnes, revient chez lui, à Granada. Où même sa fille ne le reconnaît pas: «On aurait dit Fidel Castro!»


Sur le lac Cocibolca, la «mer d’eau douce» de Granada. Raïssa a travaillé sur un bateau russe naviguant sur ses eaux, jusqu’au jour où… (Photo Stéphane Etienne)

Le Titanic du lac Nicaragua

Son premier boulot au Nicaragua, Raïssa le décroche auprès d’employeurs russes. Ils ont besoin d’une barmaid, et l’engagent sur un bateau qui accueille 60 passagers. Le bateau est à l’ancre à San Carlos, sur l’autre rive du grand lac Cocibolca. Raïssa ne se décourage pas, malgré les 6h de bus aller-retour qu’elle doit faire tous les jours. Et le mal de mer… «Je rentrais un peu fatiguée…» Mais un jour, au beau milieu du lac, le moteur du bateau prend feu. Très vite les flammes dévastent la salle de réception, poussant Raïssa à se réfugier vers l’avant. Tandis que la proue commence à se dresser dangereusement vers le ciel, la poupe s’enfonce doucement: le navire peut sombrer comme une enclume. «C’était comme dans le film Titanic!» L’alerte est donnée au port et la nouvelle de la catastrophe se répand vite sur toutes les ondes du pays. Les enfants de Raïssa apprennent alors le pire.


Heureusement, des pêcheurs ont pu parvenir rapidement sur les lieux et sauver les 4 personnes restées à bord. Lorsque Raïssa parvient chez elle, après cet épisode terrifiant, il fait nuit depuis longtemps. Ses enfants l’accueillent en hurlant «un fantôme!»


Raïssa «la Russa» avec l’une de ses petites-filles (Photo Stéphane Etienne)


La promesse de Maria-Lydia et le rêve de Raïssa se réalisent en 2012. Grâce à Habitat-Cité et la Casa de la Mujer, engagés depuis des années dans la construction de logements pour, et avec, les habitants défavorisés de Granada, Raïssa et sa famille reçoivent l’aide matérielle et technique pour construire une maison de 50 m². Elle se souvient des 4 semaines de chantier comme un des moments les plus heureux de sa vie! Après 30 ans de précarité

Des petites têtes blondes surgissent à la fenêtre. Assise sous l’auvent de sa maison, Raïssa observe le défilé incessant de ses enfants et petits-enfants. 9 personnes habitent avec elle. Maintenant qu’elle est soulagée d’avoir un vrai toit, elle commence à faire des projets d’agrandissement. Une petite chambre supplémentaire, ce ne serait pas du luxe… Mais elle n’oublie pas ces années à vivre entre des tôles rouillées, un espace d’une pièce au sol de terre battue, à la chaleur étouffante et régulièrement inondé.


Sans le soutien de la Casa de la Mujer, elle vivrait toujours dans une champa, une baraque de fortune. «Pas de travail, pas de maison !» conclue-t-elle en riant. «On n’est pas des chevaux !» «Il faut étudier coûte que coûte, malgré le manque d’argent. L’éducation des enfants, c’est trop important.» Un credo qui a l’air de réussir à la famille. «Au prix d’une éducation peut-être un peu sévère» confie-elle.

Les gâteaux de « la Russa » sont réputés dans tout le quartier. (Photo Nadège Quintallet)


Catarina, sa fille aînée, travaille au Dario, un hôtel chic du centre ville. Elle a commencé à apprendre le français. « C’est tellement doux…» Natalia, la cadette, est guide touristique tandis que Scarlett commence tout juste des études d’avocat. Encore adolescent, Alexi aimerait suivre les traces de sa sœur Alvina, qui vient de décrocher son diplôme de Chimie industrielle. Mais dans un contexte difficile, leurs études ne les protègent pas du sous-emploi et des salaires très bas. «On doit lutter, toujours…» Aujourd’hui, comme beaucoup de femmes au Nicaragua, Raïssa travaille chez elle. Ses pâtisseries sont réputées et tout le quartier lui passe commande pour les grandes occasions, comme les mariages, anniversaires… et décès. «Il y en a tous les jours!»

Nostalgie ?

«J’aimerais aller en Russie ! Pour voir le changement après toutes ces années. Et pour mieux revenir ici…» Alors que nous discutons, une de ses petites filles s’amuse avec un chiot. «Il s’appelle Simba. Mais j’aurai préféré qu’elles l’appellent Mikhail…»


Chantier de construction de la maison d’une famille en situation de précarité. Raïssa se souvient de ces 4 semaines de travail comme les plus beaux jours de sa vie. Après 30 ans passés dans des baraques de fortune. (Photo Stéphane Etienne)

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